jeudi 17 mai 2012

Les décors de Misfits, une étendue confinée


Misfits est une série anglaise réalisée par Howard Overman et diffusée depuis 2009 sur la chaine britannique E4.
Misfits signifie en anglais inadaptés. Il s’agit de l’histoire de 5 marginaux envoyés en travaux d’intérêt généraux, qui après une violente tempête se retrouvent pourvus de supers pouvoirs.




Ce sont les décors de la série qu’il m’intéresse aujourd’hui de décrire et d’étudier. La série est presque exclusivement tournée à Thamesmead, une banlieue austère du sud-est de Londres, aménagée par le Greater London Council (GLC), à la fin des années 60. Ce qui est particulier dans Misfits, c’est la récurrence et le nombre réduit de lieux de tournage, renforcés par la répétition de plans fixes qui interviennent entre les scènes : le point de vue sur le lac dans lequel sont amarrés quelques bateaux, les quatre tours identiques en béton s’élevant sur l’autre rive, typique de l’architecture modernistes des années 60 et 70.


Ce quartier de Thamesmead, s’est déployé dès 1968 autour du lac de Southmere. La proximité de l’eau était vue comme un atout pour adoucir les mœurs et réduire le taux de criminalité de cette zone surpeuplée et en friche.
Voici la vidéo du projet urbain de 1968.

La stratégie architecturale était de surélever les bâtiments d’habitation pour installer en rez-de-chaussée les garages et libérer des espaces de circulations. Les appartements sont distribués par des coursives en façades et les bâtiments sont parfois reliés par des passerelles suspendues. Une voie de chemin de fer, un pont routier la surplombant et des canaux composent aussi cette zone.
Cette trame urbaine tridimensionnelle semble ainsi se déployer en réseau, dispatchant indifféremment des espaces. Ceux-ci sont uniquement caractérisés par leur situation verticale (en dessous de, au-dessus de) et non par leur position en dedans ou en dehors.
En effet, les galeries couvertes, les coursives et passerelles constituent autant d’espaces intermédiaires qui distendent la limite entre espaces intérieurs et extérieurs, empêche une lecture globale du site et favorise la perte de repère. C’est finalement le niveau de l’eau du lac Southmere au centre qui repositionne le site et resitue horizontalement et verticalement les espaces les uns par rapport aux autres.


Misfits exploite judicieusement ces caractéristiques spatiales pour déployer des scènes du sous-sol au toit terrasse du centre social. Les cinq protagonistes quittent rarement le lieu, se plaçant aux différents niveaux du bâtiment. Ces déplacements presque exclusivement verticaux renforcent l’impression d’un espace autocentré et clos. Peu de personnages extérieurs viennent contribuer à l’intrigue. Cette configuration tend à refermer et réduire l’espace cinématographique autour des 5 acteurs de la série, évacuant l’idée d’un ailleurs.











Malgré des vues dégagées sur le lac, la notion de lointain est annihilée. Le ciel est blanc, l’eau est trouble et sans reflet, la surface des bâtiments en béton est épaisse, grise et souillée, les vitres sont mates, translucides ou opaques, les espaces intérieurs sont éclairés aux néons.
Le générique de la série exploite d’ailleurs ces caractéristiques plastiques et propose une animation à base d’aplat de nuances de gris texturés.
Rien dans ce décor ne vient renvoyer la lumière, projeter des ombres, refléter l’environnement ou suggérer l’idée d’un au-delà, affirmant les limites indéfectibles du cadre cinématographique.
 







La série est filmée avec des objectifs à bascule, ce procédé permet d’éviter les déformations dû à la perspective. Il permet ici de produire des flous artificiels qui apparaissent partiellement et en périphérie de l’image. Cet effet employé sur des plans larges tend à réduire la profondeur de champ et annule tout effet de perspective.


Les cadrages soignés et les angles de vue murement choisis confectionnent des compositions élaborées. Ces agencements donnent à voir les composants architecturaux comme des motifs et des masses, ordonnées les unes par rapport aux autres et traçant des lignes de force. Ces types de plan accentuent la dimension picturale de l’image et tend à l’aplanir en une composition bidimensionnelle.




Ces partis cinématographiques restituent un espace balisé, convergeant, rien ne peut exister en dehors de la scène. Le spectateur est constamment ramené au lieu de l’action, par l’apparition des plans fixes récurrents, les textures opaques et mates de l’architecture et de l’environnement, la faible profondeur de champs, les effets de flou et la bidimensionnalité de l’image.
Par les caractéristiques architecturales du lieu et les qualités de l’image filmique, l’espace de Misfits est sans échappatoire. C’est ce cadre confiné et décontextualisé qui autorise la fiction et le fantastique.
Texte de


Voir aussi !
Le travail du photographe berlinois, Matthias Heiderich dans la série Stadt der Zukunft, propose une vision d’une banlieue berlinoise, qui s’apparente étrangement à celle du Thamesmead de Misfits.

2 commentaires:

  1. Merci pour cet article très intéressant sur le décor de cette série qui m'interpelle énormément, béton power !

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  2. Yes cool moi qui voulais savoir où s'était tourner :))) bonne article pour une série que je kiffe grave...

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