lundi 2 avril 2012

Les adieux à la reine

Les adieux à la reine est le dernier film de Benoît Jacquot, qui raconte les quatre jours qui suivent la prise de la Bastille jusqu’à la fuite de la cour du roi. L’intrigue se déploie au château de Versailles, autour de la reine, de sa cour et de ses serviteurs, notamment de sa liseuse Sidonie Laborde.
Malgré l’importance des évènements, Versailles vit ces quelques jours avec insouciance et détachement. La reine commande des broderies pour ses robes, se fait faire la lecture, et persiste à entretenir des liens ambiguës avec Gabrielle de Polignac.
Les scènes se déroulent à la fois dans les appartements royaux et dans les quartiers des domestiques ou la rumeur de la prise de la Bastille, d’abord dissimulée par le roi, se propage au gré des bavardages et chuchotements des domestiques, évoluant dans les communs, les vestibules ou les chambres de veille.
Ce qu’il m’intéresse aujourd’hui de décrire est le traitement de ces différents espaces dans le film qui donne tout son sens à la narration et au sujet.

La caméra suit, tout au long du film, les déambulations de Sidonie Laborde qui parcourt chaque matin et successivement les communs ou dortoirs des serviteurs, les cours, les escaliers d’accès aux appartements de la reine, puis les vestibules, les chambres de veille, pour atteindre enfin la chambre de la reine où elle se livre à la lecture.
Deux entités spatiales se distinguent nettement : les espaces royaux et les espaces dédiés aux domestiques. Ils sont traités dans le film de manière contrastée et complémentaire.
Des espaces épais, moites, souillés, grouillant et sinueux caractérisent les communs, les dortoirs des logeants, les porches, les escaliers et paliers qui conduisent aux appartements de la reine, tandis que les pièces royales sont lumineuses et richement décorées.
Tandis que la caméra filme en travelling ces espaces royaux et renforce l’effet de planéité et de surface des décors ; dans les espaces domestiques, elle erre, se perd, titube, s’engouffre, se précipite, au rythme des déplacements de Sidonie Laborde.

C’est à l’intersection de ces deux entités spatiales, à l’emplacement des chambres de veille que le mouvement s’interrompt, hésite, se fige dans cet espace interstitiel.
Les chambres de veilles étaient de petits espaces contiguës aux chambres à coucher, dans lesquels les domestiques attendaient les ordres.
Dans le film, les dames de chambres guettent les gestes et attitudes de la reine à travers les portes entrouvertes et les rideaux qui délimitent la chambre, pour déceler l’ordre qui leur sera donné.
Ce décor révèle  ainsi ces espaces résiduels, fonctionnels et de distribution, qui permettent l’attente, depuis lesquels on observe, on épie, puis qu’on quitte,  des espaces tangibles mais projetés vers l’extérieur, qui ne peuvent trouver leur fin en eux même. C’est ici, tout le paradoxe du film, qui les traite comme des lieux à part entière, dilatés, organisés, rythmés, ils possèdent leur propre géographie et leurs propres intrigues.


La matérialité, la malléabilité,  la profondeur accordée aux espaces des domestiques et de desserte renforce à l’inverse la superficialité et la fragilité des pièces royales et d’apparat qu’ils englobent, comme un présage de la vulnérabilité de la monarchie à ce moment-là. Ce traitement du décor renforce le vase clos qui caractérise le château de Versailles, isolé de la rumeur populaire qui gronde à Paris et qui ne tardera pas à atteindre la demeure royale.  

texte de












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